La liberté, 5 décembre 2012
La sublime polyphonie de l’ensemble Scarlatti séduit un public clairsemé
MUSIQUE CHORALE • Marc-Antoine Emery a dirigé deux concerts à Ecuvillens et Fribourg. Un pur bonheur pour les mélomanes.
Donné aussi dimanche à Fribourg, à l’église des Capucins, le concert de l’ensemble Scarlatti s’est joué une première fois samedi soir à l’église d’Ecuvillens. Le public était peu nombreux, ce qui a permis une belle qualité d’écoute, très rarement aussi recueillie. Un bonheur quand on vient apprécier la polyphonie renaissante de Josquin Desprez, dont l’ensemble Scarlatti révèle la grande intériorité – rien à voir encore avec une polyphonie fastueuse, plus tardive. Il s’agit de la «Missa Pange Lingua», considérée comme le chef-d’œuvre de Josquin Desprez.
Dès la fugue du kyrie transparaît la qualité du travail vocal fait par le chef de chœur Marc-Antoine Emery et ses seize choristes. Le son est rond et dense, très homogène. Les voix fusionnent, les registres sont bien équilibrés entre eux, en tutti comme dans la division sopranos et ténors d’un côté, altos et basses de l’autre. Le petit effectif (quatre choristes par voix) aide assurément à la clarté, en tout cas on entend très nettement le contrepoint, qui fait de l’œuvre une cathédrale sonore. L’ensemble Scarlatti a aussi le mérite de chanter avec simplicité, sans trop en faire, servant des nuances subtiles. Le rythme semble à la fois régulier et souple, Marc-Antoine Emery transmet bien le sens des phrases mélodiques. Il atteint un équilibre qui fait justement partie de la musique de Josquin Desprez, une musique qui élève, sans viser la puissance sonore, une musique de dévotion plus que de concert.
Dans le credo, le compositeur fait coller la musique et le texte: Marc-Antoine Emery ralentit fortement dans l’«et incarnatus est», il rend le passage «ex Maria virgine» le plus éthéré possible, jusqu’au «et homo factus est», toujours lent mais posé, comme s’il fallait bien marquer ce qui fait le centre de la foi chrétienne. L’effet dramaturgique est évident quand vient le «crucifixus» puis «et resurrexit»: le rythme reprend, plus rapide. Seul bémol de cette interprétation sensible, dans les passages plus techniques du sanctus, avec la division des registres de femmes et d’hommes: les voix sont plus ternes, le diapason ayant probablement baissé.
La suite du concert est composée de pièces plus courtes, sacrées et profanes, aussi puisées dans le répertoire polyphonique européen: un lumineux Tallis, un «O Magnum Mysterium» très intense de Victoria, le ludique coucou cocu de Clément Janequin, dans un «Chant des oyseaux» plein d’effets sautillants et piaillants chantés avec précision.
Elisabeth Haas